Consolider et sécuriser la cathédrale Notre-Dame de Paris

Par Emilie Ha 01/05/2020 Rencontre

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Rencontre avec Aline Magnien

D’abord conservatrice et responsable de l’Inventaire général des Richesses et monuments artistiques  de la France au sein de la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Picardie à Amiens (1994-1996/2002-2006), puis responsable du service des collections du Musée Rodin (2007-2015), Aline Magnien a beaucoup oeuvré pour la conservation et l’enrichissement du patrimoine culturel. Depuis plus de 4 ans, elle est la directrice du Laboratoire de Recherche des Monuments historiques, à Champs-sur-Marne, et conduit le travail d’une équipe de 36 personnes, essentiellement composée de scientifiques, dont une partie a pour mission d’intervenir sur le chantier de Notre-Dame.

Le Laboratoire de Recherche des Monuments historiques, un acteur majeur en cette phase de consolidation.

L’heure est toujours à la consolidation et à la sécurisation des lieux, avant d’entamer tous travaux de restauration. Après l’incendie, la première préoccupation des architectes et entreprises du chantier était, et reste toujours actuellement, le démontage de l’échafaudage, dont des éléments ont été soudés et altérés par les flammes. Effectivement, très instable, il menace encore de s’écrouler. De même, dès le lendemain de l’incendie, des experts ont été mandatés afin d’intervenir sur les lieux pour participer à la sauvegarde et à l’étude de la cathédrale. Ce travail de recherche est essentiel puisqu’il servira ensuite à la restauration. « Pour l’instant, nous sommes dans une phase de pré-diagnostic. C’est à dire que les architectes sont encore en train d’étudier l’état réel de la cathédrale », explique Aline Magnien.

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À juste titre, le Laboratoire de Recherche des Monuments historiques a été très tôt sollicité par la Direction régionale des Affaires culturelles pour travailler sur le chantier. Alors de quelle manière interviennent-ils précisément ? La directrice nous explique que son équipe travaille sur plusieurs aspects dont un est le tri des items qui sont tombés des voûtes. En effet, l’écroulement de la flèche a perforé ces dernières, faisant tomber métal, cendres et bois de la charpente. Malgré tout, « les voûtes ont très bien rempli leur mission car elles ont très bien protégé le sanctuaire », ajoute-t-elle.

Notre Dame de Paris en travaux
La cathédrale Notre-Dame de Paris en travaux © Shutterstock / UlyssePixel

Le travail de recherche ne s’arrête pas là. Le LRMH, avec le CNRS, le C2RMF (autre laboratoire du Ministère la Culture, les archéologues de la DRAC Ile-de-France, vise également à préserver, par l’étude, le patrimoine endommagé et conserver des vestiges pour des recherches ultérieures en sélectionnant des objets issus de cette chute. Ces derniers vont permettre de nombreuses études sur les matériaux de la cathédrale, tels que le bois, le métal ou encore la pierre. Le laboratoire participe aussi au Contrôle scientifique et technique de l’Etat et fait de l’assistance à maîtrise d’ouvrage. Nous avons, par conséquent, demandé à sa directrice quels étaient les principaux pôles du laboratoire œuvrant directement à ce travail de recherche sur le chantier.

L’intervention de 5 pôles différents

Afin de mener à bien cette phase de consolidation, chaque expert agit dans son domaine. L’équipe appelée à travailler sur le chantier provient de 5 pôles différents.

Le premier pôle est essentiel aux travaux puisqu’il s’agit du pôle pierre. Effectivement, l’un des problèmes majeurs que rencontre l’édifice est la perte, la casse ainsi que l’endommagement de la pierre qui était utilisée pour Notre-Dame. Tout ce matériau perdu doit par conséquent être remplacé par un autre matériau similaire. La cathédrale ayant été construite de 1163 à 1345, les carrières qui ont servi au XIIIe siècle, comme au XIXe siècle, lors de la restauration de Viollet-le-Duc, ne sont plus nécessairement en activité à l’heure actuelle. Le pôle pierre est donc très impliqué dans cette recherche de conformité car il faut retrouver des pierres équivalentes à celles qui ont été utilisées historiquement. Il est important que la pierre réutilisée lors de la restauration ait une qualité semblable et des caractéristiques mécaniques et physico-chimiques équivalentes telles que la porosité, par exemple, comme l’explique la directrice. 

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Le deuxième matériau indispensable à la reconstruction est bien entendu le bois. Un pôle bois travaille donc actuellement afin d’étudier les poutres de la toiture de l’édifice. Si la cathédrale est reconstruite à l’identique, suppose Aline Magnien, il est nécessaire de comprendre de quelle manière a été réalisée la charpente initiale. En effet, la question de la reconstruction à l’identique est cruciale puisqu’elle fait partie d’une des problématiques majeures de ce chantier. Nous confiant n’avoir aucune opinion personnelle sur ce point, la directrice nous explique cependant qu’il existe une déontologie de la restauration selon la Charte de Venise de 1964. Celle-ci impose que l’on restaure les monuments historiques dans le dernier état connu, qui est par conséquent celui de Viollet-le-Duc. Il s’agit donc ici de relever les qualités de la charpente comme ses défauts avec pour objectif de la reproduire à l’identique mais de la meilleure qualité possible. Le pôle bois participe à toutes ces recherches et réflexions

Le troisième pôle important concerne quant à lui le vitrail. Directement après l’incendie, un état des lieux des vitraux a été effectué sous la direction du LRMH. Il s’agissait d’évaluer « les altérations qu’on peut éventuellement observer » sur ces derniers en raison des températures atteintes. Un des objectifs (commun à l’ensemble des pôles) est aussi de déterminer de quelle manière ces vitraux ont été recouverts de plomb, puisque la fumée a entièrement tapissé l’intérieur de l’édifice d’oxyde de plomb.
Cette question autour du plomb complique le travail de l’équipe pour plusieurs raisons. Outre le fait de devoir nettoyer cette couche de plomb des vitraux, il faut également l’enlever des autres matériaux tels que le bois, les murs, la pierre, mais également les stalles, les chaires ou encore les confessionnaux. Le but étant d’éliminer cet élément tout en s’assurant de ne pas abîmer les supports. Pour cela, il est nécessaire de trouver « des moyens rapides, peu couteux et applicables à une grande échelle», nous confie la directrice. Seulement, certains équipements lourds et outils sont indispensables afin de protéger chaque travailleur individuellement, et ceci pourrait ralentir le travail de d’étude sur le terrain. 

Il y a également des interventions du pôle dédié à la peinture murale afin de nettoyer les murs peints et de conserver ces polychromies. 

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Enfin, un dernier pôle pourrait être impliqué, même si pour le moment, il a peu été sollicité. Il s’agit du pôle microbiologie qui s’avèrera nécessaire au moment de la fermeture de la cathédrale puisqu’en effet, celle-ci ne l’est pas encore à cause de l’échafaudage dont le démantèlement n’a pas encore commencé. Le but de ce pôle est donc de surveiller la chaleur et l’humidité à l’intérieur de l’édifice. Selon Aline Magnien, lorsque l’édifice sera clos, il y aura un risque d’apparition de champignons. « Il va falloir suivre ça de très près », conclue-t-elle.

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