Notre-Dame de Paris est actuellement au coeur d’un débat important qui n’est pourtant pas nouveau. Depuis l’annonce du projet de reconstruction, deux clans s’affrontent au sujet du futur de l’édifice. Certains souhaitent revoir à nouveau la splendeur du bâtiment, comme il l’était à l’origine. D’autres parlent de projets futuristes et sont partisans d’une reconstruction novatrice et ambitieuse: une Notre-Dame changée.
La querelle entre les Anciens et les Modernes est une polémique qui agite le monde artistique depuis la fin du XVIIème siècle. Et l’architecture n’échappe pas à cette règle. Par le passé, certains bâtiments parisiens ont également été au coeur d’un débat similaire. Retour sur trois constructions emblématiques de la capitale.
La tour Eiffel, le « déshonneur de Paris »
28 janvier 1887, premier coup de pelle de ce qui deviendra deux ans plus tard, un des plus grands symboles de Paris. Si la tour Eiffel connait aujourd’hui une renommée et admiration mondiale, il n’en a pas toujours été le cas. La construction d’acier était alors fin 19ème siècle au coeur d’importantes controverses. La cause ? Sa laideur. Ses détracteurs ? Les artistes.
Les artistes mobilisés
La construction, véritable prouesse technique, devait être la première à dépasser les 300 mètres de hauteur. Ce projet avait d’ailleurs été choisi parmi les 300 projets proposés pour l’Exposition Universelle de Paris, qui devait avoir lieu dans deux ans. En pleine époque de Révolution Industrielle, l’utilisation de nouveaux matériaux est synonyme de progrès techniques. Et la Tour Eiffel n’y échappe pas. Ayant pour but de mettre en avant les nouvelles capacités de la France aux yeux du monde, cette dernière utilise comme matériau principal le fer. En effet, la Révolution Industrielle apporte au monde l’utilisation de structures métalliques en fer ou acier, beaucoup plus légères que les matériaux utilisés jusqu’alors.
En février 1887 était publié dans le journal Le Temps une tribune signée de la main des plus grands artistes de l’époque. Parmi eux, écrivains, architectes, sculpteurs dont Maupassant, Dumas fils, François Coppée, Charles Garnier etc. Ils avaient tous en commun le fait de s’opposer fermement au projet de la « Tour de 300 mètres ». « La Protestation contre la tour de M. Eiffel », adressée à Adolphe Alphand (le directeur des travaux de la ville de Paris), avait pour visée d’empêcher la construction de la Dame de Fer. Ce projet initié pour l’Exposition Universelle de 1889, n’a donc pas immédiatement connu un succès à la hauteur de sa réputation actuelle.
Parmi les commentaires cruels auxquels Gustave Eiffel a dû lutter, on retrouve un certain nombre de comparaisons. « Le déshonneur de Paris », « une tâche d’encre », « l’ombre odieuse de l’odieuse colonne de tôle boulonnée », « l’inutile et monstrueuse tour Eiffel », « une noire et gigantesque cheminée d’usine, écrasant de sa masse barbare » les monuments emblématiques de Paris.
Par ailleurs, la tour Eiffel inspire également aux artistes de nombreux pamphlets. Verlaine la qualifie ainsi de « squelette de beffroi », L. Bloy de « lampadaire vraiment tragique » et Huysmans de « carcasse qui attend d’être remplie par des pierres de taille ou des briques, ce grillage infundibuliforme, ce suppositoire criblé de trous ».
La réponse de Gustave Eiffel
Le même mois, Gustave Eiffel répond aux détracteurs de sa tour: « Parce que nous sommes des ingénieurs, croit-on donc que la beauté ne nous préoccupe pas dans nos constructions et qu’en même temps que nous faisons solide et durable, nous ne nous efforçons pas de faire élégant ? Est-ce que les véritables fonctions de la force ne sont pas toujours conformes aux conditions secrètes de l’harmonie ? ».
Alphonse Alphand également répondit à cette tribune. Il écrit alors ces mots, très clairs: « Nous construisons l’avenir. Nous construisons la nouvelle cité de Paris. Nous construisons la tour Eiffel. ».
Mais les polémiques s’estompèrent d’elles-mêmes suite à l’immense succès populaire que la tour rencontra à la fin de sa construction. Gustave Eiffel se plaisait également à mentionner ce succès lors de sa réponse aux artistes: « Reste la question d’utilité. Ici, puisque nous quittons le domaine artistique, il me sera bien permis d’opposer à l’opinion des artistes celle du public. Je ne crois point faire preuve de vanité en disant que jamais projet n’a été plus populaire ; j’ai tous les jours la preuve qu’il n’y a pas dans Paris de gens, si humbles qu’ils soient, qui ne le connaissent et ne s’y intéressent. A l’étranger même, quand il m’arrive de voyager, je suis étonné du retentissement qu’il a eu. »
La Pyramide du Louvre : une construction qui fait polémique
La Pyramide du Louvre fêtait ses 30 ans l’année dernière, dirigée par l’architecte sino-américain Ieoh Ming Pe, elle est aujourd’hui le symbole phare de ce musée le plus visité au monde. Pourtant le succès n’a pas toujours été là, le style très moderne de la Pyramide contrastant avec le classicisme du bâtiment avait fait couler de l’encre (susciter des débats).
Le projet prend naissance septembre 1981 dans un salon de l’Élysée. À peine élu, deux mois après, Francois Mitterand propose ses projets coté culturel, parmi ces derniers un réaménagement du Louvre.
« J’ai également pris la décision, Mesdames et Messieurs, sans vouloir en désobliger certains, de rendre le Louvre à sa destination. » Francois Mitterand, 1981
En planifiant de déloger le ministère de la Finance, qui était installé dans une partie du bâtiment, le président de l’époque veut rendre au Louvre sa fonction principale de musée et en faire un musée de masse. Les principaux changements seront l’adaptation de l’entrée unique par la cour Napoléon, les anciennes jugées trop hasardeuses et confiseuses (??), proposition de magasins et pyramides
Premier obstacle, architecturalement parlant le bâtiment semble être en retard, peu imposant par rapport à d’autres bâtiments internationaux. Pour projeter le Louvre dans le 21e siècle et lui donner cet aspect grandiose tant attendu, François Mitterand confira le projet à Ieoh Ming Pei. Cet architecte est notamment à l’origine de la rénovation d’autres musées emblématiques comme le Fine Art Museum de Boston ou encore de la National Gallery of Art à Washington .
Il présentera son projet le 23 janvier 1984 à la commission des musées historiques. Un projet accueilli par cette dernière avec beaucoup de critiques négatives. La polémique sera d’ailleurs en une des journaux, France Soir publiera dès le lendemain son numéro avec en en-tête « Le nouveau Louvre fait déjà scandale ».
Une réunion se tiendra alors à Arcachon, qui deviendra le lieu de naissance de ce projet pyramidal qui suscite tant la polémique. L’architecte sino-américain y tracera d’ailleurs les plans des salles d’expositions réparties par collections. Grâce à l’extension du Musée dans toutes les ailes du bâtiment, il passera d’une surface d’exposition de 30 milles à 60 milles mètres carré.
L’entrée principale se faisant par la cour Napoleon vers le sous-sol, il était question d’illuminer l’édifice qui se fera grâce à cette pyramide de verre composée de 673 carreaux en verre d’une transparence absolue.
En mai 1985, Jacques Chirac, à ce moment maire de Paris demande alors la construction d’une simulation de la pyramide constituée de cordes tirées par des grues, dans la cour Napoléon grandeur nature pour que les français puissent se projeter. Les avis sont mitigées, certains sont favorables et impatients de voir le résultat tandis que d’autres accusent la future pyramide d’ébrécher le patrimoine français.
La pyramide sera finalement inaugurée pour la première fois le 4 mars 1988 par Francois Mitterand et ouverte au public le 24 mars 1989.
Aujourd’hui le musée du Louvre est devenu, grâce à sa pyramide un passage incontournable pour les touristes et une emblème de la capitale française. Il servira d’ailleurs de décor à Beyoncé et Jay-Z, célèbres artistes américains, pour leur clip APES**T sorti en 2018. La même année le musée franchira la barre des 10 millions de visiteurs annuels.
Le Centre Pompidou : l’affaire d’un projet controversé
Le Centre National d’Art et de Culture George Pompidou, bâtiment emblématique du paysage parisien, fêtait ses 40 ans en 2017. Retour sur la naissance d’un projet qui a fait l’objet de nombreuses polémiques.
Plus communément appelé « Centre Pompidou » ou tout bonnement « Beaubourg », l’établissement a été inauguré le 31 janvier 1977. Né de la volonté du président Georges Pompidou, ce site est dédié à l’art contemporain et moderne.
« Je voudrais passionnément que Paris possède un centre culturel qui soit à la fois un musée et un centre de création où les arts plastiques voisineraient avec la musique, le cinéma, les livres, la recherche audiovisuelle… »Georges Pompidou, 1972
Le projet a été conçu grâce à trois architectes de renom, Renzo Piano, Richard Rogers et Gianfranco Franchini, suite à un concours ouvert aux architectes du monde entier. Il est situé dans le 4ème arrondissement de Paris, entre le quartier des Halles ainsi que le Marais.
Aujourd’hui, le Centre Pompidou est visité par plus de 5 millions de personnes chaque année. Et pour cause, il s’agit désormais d’un bâtiment français ayant révolutionné l’urbanisme et l’architecture française. Pourtant, durant toute sa construction, il sera sujet à grand nombre de critiques.
La première critique que subit l’établissement concerne l’esthétique de celui-ci. En effet, nous avons affaire à une réelle transgression culturelle. Le parti pris architectural est en totale rupture avec le style habituel de l’époque. Le bâtiment est imposant, reconnaissable à ses couleurs primaires vives et ses énormes tuyaux extérieurs. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on le surnommait « Notre-Dame-des-Tuyaux ».
En réalité, le but était d’extérioriser le ventre du bâtiment, qu’on ne voit pas habituellement. De ce fait, la structure portante et les canalisations sont disposées à l’extérieur. La volonté du Président Pompidou était de rompre avec l’image élitiste des musées traditionnels. Un parti pris qui ne fait pas l’unanimité puisqu’il a été jugé « atroce. On dirait une usine, un paquebot, une raffinerie. Une espèce d’écorché monstrueux et multicolore, avec ses tripes à l’air », selon Jean d’Ormesson, journaliste français.
Les coûts engendrés par la construction de ce site a également fait polémique. Selon Françoise Giroud, qui était à l’époque la secrétaire d’Etat à la culture, le budget dédié au projet était trop élevé. Lors d’une interview pour la chaine de télévision TF1, elle lançait la polémique en révélant le coût total du chantier qui était de 900 millions de francs mais également les 130 millions de budget annuel.
La remise en question du projet était d’autant plus forte lors du décès du Président, en cours de mandat. Son successeur, Valéry Giscard d’Estaing, de même, très septique quant à sa réalisation, voulait l’abandonner. C’est son premier ministre, Jacques Chirac, qu’il le convainc de maintenir le centre culturel, centre qui a failli ne jamais voir le jour.